jeudi 1 novembre 2012

CULTURE ET INTÉGRATION CULTURELLE


Extraits de courriers  que j’ai échangés avec Monsieur ARNAUD PIERRE APPRIOU – Coordinateur des politiques, Direction Générale « Elargissement, unité Kosovo, Commission Européenne » au sujet de son article LES BALKANS NE SONT-ILS PAS UN MODELE POUR LA MEDITERRANEE ? que l’on peut trouver dans son intégralité dans le lien suivant :  http://gnova.org/les-balkans-ne-sont-ils-pas-un-modele-pour-la-mediterranee/?goback=%2Egde_4615680_member_162999905


A lecture de votre article que j‘ai parcouru avec grand intérêt, je n’ai pu m’empêcher de me demander à quelle valeur conceptuelle, la notion de culture est associée au sein de la civilisation occidentale et si celle-ci, ne demanderait pas à être profondément analysée et revisitée sans a priori, justement culturels. 
C’est précisément à ce niveau, que réside la difficulté, car une telle démarche requiert un procédé méta-cognitif qui étant donné l’objet d’analyse, est un acte loin d’être anodin. Comment penser autrement la culture quand celle-ci est un élément formateur et fondateur de notre propre pensée,. 

S’autoriser à re-penser la notion de « culture » ainsi que le bagage cognitif quelle présuppose et véhicule, est à mon sens une nécessite capitale du moment où l’on ambitionne à une intégration culturelle entre peuples et nations diverses. 
De nos jours et selon une acceptation toute particulière à la civilisation occidentale, mais que ce même occident juge universellement admise, il semble très naturel et de très bon ton, penser que l’intégration culturelle des peuples et nations est non seulement un prérequis nécessaire mais surtout un élément fondateur de leur bonne entente. 

L’histoire est replète d’atrocités commises sous l’étendard de l’intégration « culturelle » qui a su, aux fils des temps revêtir maints atours. Il y a lieu peut être de se demander si les erreurs passées ne sont pas moins dues aux modalités d’intégration qu’au fait même, d’utiliser la culture pour y parvenir. 
Ne sommes-nous pas aujourd’hui autorisés à se demander si, dans le cadre d’une mondialisation des besoins et de la globalisation des solutions à y apporter, la terminologie de culture n’a pas été vidée de sa substance à force de vouloir la remplir d’un contenu commun pour tous ? 

Ne sommes-nous pas devant une virtualisation et idéalisation de la culture qui se veut mondiale ? Une culture qui envisage la communion des peuples et en même temps génère des communautarismes exacerbés ; une intégration culturelle qui enfante la désintégration de systèmes culturels ancestraux et fondateurs en commençant par le nôtre, qui ne peut plus l’être du moment qu’il ambitionne à devenir celui de tous ? 
Faut-il s’étonner si la culture est aujourd’hui bien plus empreinte d’une nécessite mercantile que d’un atavisme social? 

Aussi, est-il illégitime de s’interroger au sujet de la valeur de l’intégration même? Faut-il rappeler que cette terminologie signifie retrouver un état d’être entier. Ne sommes-nous pas encore face à un angélisme identitaire ? il n'est pas inutile de se souvenir que, avant son acceptation d’ordre sociologique, l’intégration est une opération mathématique qui vise à ramener une différentielle à une valeur finie. L’ »autre » est-il une différence qui nécessite être réintégrée pour retrouver l’unité ? 
Faute de pouvoir atteindre l’unité idéale, ne serions-nous pas en train d’essayer de faire disparaitre l’altérité ? Faut-il voir dans cette origine scientifique conceptuelle une explication à la confusion constante entre l’intégration et l’assimilation pure et simple ? 
Enfin, cette intégration, a-t-elle une raison d’être en dehors de sa qualité transitoire entre un état de différence et celui d’assimilation ? 
Autant de questions dérangeantes qui pourraient aboutir à autant de réponses que personne n’a vraiment envie d’entendre. A moins que ….


(suite)

Merci, pour votre réponse. Je partage l’essentiel de vos convictions. 

Je suis d’avis que l’évolution des comportements passe avant tout par une évolution dans la manière de penser. C’est pour cette raison qu’il est absolument primordial, que les mots à penser soient adéquatement choisis et définis par ceux qui veulent accompagner une telle évolution. 
De manière générale, J’ai tendance à me méfier du vocabulaire très consensuel ou de celui dont le champ conceptuel est trop large. D’ailleurs en général, les deux vont de pair. Ils sont les plus aptes à véhiculer toute sorte d’implicites qui échappent la plus part du temps à la conscience du locuteur et qui fondent le malentendu plutôt qu’un entendement partagé. 
Revenons par exemple au terme « d’intégration ».Il parait difficile de penser le rapprochement des peuples à l’aide d’un mot qui a pour volonté « politique d’exprimer la communion, et qui en même temps rappelle l’intransigeance, la violence, et la haine, au travers de son concept dérivé qu’est « l’intégrisme ».Un terme qui par ailleurs est relié à la problématique de la laïcité comme vous l’avez si bien rappelé, et qui pose un réel problème de communication, des lors que l’on veut rapprocher des cultures qui, de par leur tradition, ne peuvent concevoir, sous le prisme de la leur, le sens donné à la terminologie de « laïcité » si spécifique à la culture occidentale moderne. 

On pourrait se demander d’ailleurs, si le choix de la terminologie d’intégration, à l’origine, ne cache pas de manière subtile et voilée, une volonté autre que celle affichée ; mais ce serait rentrer dans une discussion plus complexe qui n’a pas lieu d’être ici. 

Aussi, pour tous ceux qui ont une motivation sincère à rapprocher les peuples aux cultures diverses et variées, pour toute celles, qui, de par leur expérience, sagesse et capacité intellectuelle, peuvent être amenées à guider et orienter la pensée des autres dans une direction visant la paix et l’entente commune, il est de leur devoir de ne pas s’encombrer de convenances, qu’elles soient politiques, sociales, culturelles ou sémantiques, dès lors que celles-ci empêchent, de par leur limitation et a priori divers, le cheminement de la pensée humaine sur les voies de la communication. 

Pour autant, pourquoi ne pas supposer le remplacement du terme d’«intégration» par un autre terme comme celui de symbiose par exemple. On pourrait alors parler de « symbiotique culturelle » entre peuples et nations, afin de définir un champ sémantique nouveau, et l’y remplir d’un signifiant « épuré » de tout malentendu ou « sur-entendu » connexe. 

La symbiose ne modifie en rien l’intégrité des éléments qui rentrent en relation. C’est d’ailleurs cette relation même que la définit pleinement et de manière suffisante. Alors que l’intégration vise à un résultat qui par définition remplace les variables de l’opération associée, la symbiose, au contraire, donne naissance à un élément relationnel nouveau, sans jamais menacer l’existence et l’essence des éléments qui le compose. 

D’une manière générale, redéfinir clairement la relation et le désir qui est sous-jacent aux échanges culturels, aura comme énorme avantage, de définir et délimiter par la même occasion les éléments constitutifs culturels mis en jeu dans cette opération. Tout n’est pas partageable et communicable, et même si cela l’était, encore faudrait-il que cette démarche soit bénéfique pour les parties en cause, ce qui, en dehors d’un angélisme naïf et dangereux, est bien loin de correspondre à vérité. 

Quant au débat sur la laïcité telle qu’il se présente de nos jours, nous ne pourrons le résoudre de manière efficace tant que nous ne prendrons pas conscience qu’il est un symptôme d’une problématique beaucoup plus globale: celle de l’identité, de sa structure fragmentaire et d’un besoin collectif inconscient d’un retour à une unité indivisible qui n’a eu cesse de se morceler au sein d’une civilisation qui cherche pathologiquement à assimiler ce qu’elle ne peut plus contenir. On ne débat pas au sujet d’un symptôme, on le constate. On doit s’employer à réfléchir à son origine et a sa cause.
 
Il n’est d’ailleurs pas anodin, que ce débat soit en train d’enflammer des cultures autres que la nôtre, étant donné que nous sommes en train d’exporter notre model d’identité fragmentaire chez eux. 
Débattre sur la laïcité dans ces conditions est comparable au fait de soulager la douleur d’un patient souffrant, sans se préoccuper de diagnostiquer l’origine de celle-ci. Malheureusement nos intellectuels sont plus enclins à donner des réponses à tout prix, plutôt que de postuler et valider des questions pertinentes.