La pensée en dehors du langage est-elle possible?
De nombreuses études ont été menées afin de
déterminer si la pensée pouvait s’organiser en dehors du langage. Je
voudrais suggérer ici, de nouvelles pistes de réflexions en traitant ce problème
depuis une perspective différente.
Définissons auparavant certain concepts :
J’appellerai pensée, toute activité humaine de
traitement d’informations, indépendamment du degré de conscience avec
laquelle elles sont traitées.
Par langage, je me réfère à toute forme d’expression
articulée autour de symboles indépendamment de la nature de ceux-ci.
Toute pensée qui s’articule autour du langage fait
intervenir, implicitement, 3 agents dans sa genèse : le sujet qui pense,
l’objet de la pensée, et son support symbolique, le signe. Dans le cadre de
cette étude, Je vais porter mon attention sur la nature et la relation qui unit
ces trois agents et montrer comment celles-ci, sont beaucoup moins
différenciées qu’il peut y paraître d’après notre connaissance sensorielle.
Rappelons que la pensée qui utilise le langage comme
partie intégrante de sa formation, est nécessairement médiate. Elle
ne peut exister en dehors du signe conçu comme son média symbolique,
ce qui exclut donc, toute possibilité de connaissance immédiate. Cette
pensée que je dénommerais « pensée signe » s’appuie donc sur le
partage symbolique entre le sujet et l’objet. Le « signe
« étant non seulement le support de la communication, mais
surtout un lieu et espace de cette relation entre le sujet et l’objet.
On peut donc s’autoriser à concevoir la pensée
signe, comme pouvant se définir de manière précise au travers de la
dimension relationnelle entre le sujet pensant et l’objet pensé.
Si nous poussons ce raisonnements dans ses limites,
nous pouvons nous rendre compte, qu'il n’est pas absurde de considérer que
l’objet de la pensée signe, ne rende pas compte de la connaissance
de l’objet en tant que tel, c’est à dire dans son acception essentielle, mais
plutôt, du partage de la connaissance de celui-ci dans sa dimension
relationnelle avec le sujet. On pourrait dire inversement, que la
différenciation entre sujet et objet, se résout dans la relation symbolique et
« signifiante » qui les unit, et qu'en dehors de cette relation,
cette différenciation, perd tout degré de réalité.
De cette manière nous définissions une dimension
purement relative unissant, sujet, objet et symbole, ce qui dans l’absolu
rend illusoire toute tentative de les différencier et place
la pensée dans une économie exclusivement relationnelle. Selon cette
perspective, sujet et objet, n’ont de réalité qu’au travers de leur
relation qui les défini à la fois de manière indirecte, médiate et pleinement
suffisante, dans laquelle, signe et langage, deviennent une
cristallisation de cette relation.
Plus précisément et selon cette optique, nous
pouvons définir le langage comme une articulation
de processus dynamiques relationnels passés, auparavant signifiés, et « cristallisés »,
définissant ainsi les règles de la syntaxe associée à leur
réutilisation potentielle en tant que support symbolique pour de nouveaux
espaces relationnels.
Le langage peut ainsi se concevoir comme l’articulation
de signes dont la syntaxe est constituée d’espaces relationnels entre
objets et sujets symbolisés ; chaque
relation objet/sujet pouvant être
conçue comme autant d’unités linguistiques potentielles.
Le langage, quel qu’il soit, mesure, ordonne et
sélectionne les espaces relationnels conçus comme autant de résultats,
réutilisables à plaisir, dans un souci d’efficacité afin d’atteindre le plus
rapidement et avec le moindre effort, le partage de la connaissance qu’il est
sensé favoriser. Une sorte de sélection naturelle au sein même des
relations structurantes entre sujets et objets. Autrement dit, la pensée
« signe » est un moyen de connaissance entre sujet et objet qui
se base globalement sur la transmission et le partage d’une mémoire
de « relations ».
A ce sujet, Il faut aussi remarquer que selon ce
point de vue, aucune réalité ontologique n’est accordée ni à l’objet, ni au
sujet ; celle-ci étant réservée uniquement à la relation qui les unis.
Ceci dit, nous pouvons leur reconnaitre
un degré de réalité relative qui en définit pleinement leur dimension
existentielle.
Ces hypothèses étant établies, la question posée initialement
de savoir si la pensée peut naitre en dehors du langage, revient
désormais à savoir s’il existe une possibilité de relation entre objet et
sujet, en dehors de la sphère du signe et du symbole.
Nous avons montré comment signe et symbole peuvent être
conçus comme émanant de la relation sujet- objet et en sont l’expression
formalisée. Nous avons vu qu’à son tour la formalisation de cette relation,
peut s’articuler en syntaxe donnant naissance au langage, qui peut être à
son tour, devenir support de la pensée dans la dynamique relationnelle
qui unit sujet et objet.
Si nous définissons l’intuition comme une modalité
de connaissance en dehors du langage et du signe, qui vise directement et exclusivement la
relation ( entre sujet et objet) dans
son acceptation essentielle, unitaire et immédiate, plutôt que l’objet et
le sujet dans leur existentialité duelle et nécessairement médiate, alors nous
pouvons aussi affirmer, d’après ce que nous avons vu, que non seulement ce
mode de connaissance existe , mais aussi qu’il représente l’origine même
du langage et est , sur le principe, antérieur et fondateur de celui-ci.
Je voudrais maintenant, démontrer le même résultat
en utilisant une approche plus complexe dans sa formalisation, et qui fait
appel à une logique mathématique. Néanmoins cette approche se base sur
les mêmes présupposés que la précédente. Cette perspective à l’avantage
d’insérer le raisonnement et le résultat dans une perspective holistique,
que nous ne développerons pas ici, notamment sur le plan de l’interprétation du
réel en physique.
Ici encore, notre approche est non classique,
et ne correspond à aucune piste théorique déjà parcourue selon cette
perspective.
Avant tout, nous devons faire intervenir et
expliciter un concept fondamental de notre théorie. Celui de
Mesure. Par mesure, nous entendons, tout acte qui vise à
observer, évaluer, jauger, signifier, et donc, en définitive, définir
la relation entre sujet et objet.
Comme nous l’avons vu précédemment, sujet et objet
acquièrent un niveau de réalité au travers de la relation qui les unit. Dans le
cadre de la perspective que nous envisageons, nous dirons que la mesure est
l’acte fondateur du niveau de réalité, quelle génère.
Aussi faudrait-il prendre le temps de redéfinir,
selon notre point de vue, le terme de réalité, qui selon son acceptation
communément partagée, a le désavantage de couvrir un champ
sémantique à la fois trop large, et en même temps, trop étroit. Trop large, car
elle appelle communément à une dimension d’absolu qui est sensée se trouver en
dehors de champ de la subjectivité et du relatif. Trop étroite car elle
est entendue comme un état unique et de nature essentielle.
Au contraire, la réalité telle que nous la
définissons, n’a d’existence que dans sa dimension relative. Aussi, je ne me
réfère pas à « la « réalité, mais à des niveaux de réalité.
Selon notre perspective, il y a autant de niveaux de réalité différents qu’il y
a d «’espaces relationnels entre sujets et objets.
En d’autres termes, la réalité telle que nous la
percevons, une et indépendante de notre propre jugement, peut se concevoir comme
un niveau de réalité, défini par
l’ensemble des espaces relationnels, entre sujet et objets, qui sont partagés par
eux et leur sont communs.
Pour revenir à ce qui a été dit dans la première
partie de notre étude, « la » réalité telle que nous la
percevons communément, n’est autre, finalement, qu’un niveau de réalité
articulé, accepté et organisé de manière à être compris (cum
prendere) par tous ( la référence au langage, ne peut nous
échapper). Une sorte de dénominateur commun, qui est perçu comme un étalon
de mesure qui mesure tout sans être mesuré lui-même et qui est à la fois
le père de tous les symboles et en même temps sa propre progéniture dans toute
sa multiplicité sign-ifiante. Autrement dit, le verbe inexprimable dans sa
dimension ontologique, qui enfante tout langage.
Sans m’y attarder, je ferais simplement noter
que cette même conception de la réalité est sous-jacente à toutes les
religions traditionnelles, sans exception aucune, et ce, depuis l’origine des
temps. Chaque religion, formulant à sa manière cette conception de
« la » réalité et de tous les autres niveaux de réalités. (Enfer,
paradis, nirvana etc…) Bien entendu, ceci fait référence à des notions
métaphysiques qui sortent du cadre de cette étude mais qui montrer le cadre
holistique de la perspective que nous développons ici.
Nous avons donc vu, que la mesure définit et
signifie la relation objet /sujet sur laquelle elle s’applique. En
effet, L’acte de mesurer, établit une mise en relation entre sujet
et objet. Nous appelons ceci, l’interaction entre sujet et objet. La
mesure implique nécessairement une notion de référence, une valeur étalon au
travers de laquelle, la mesure est possible. Car mesurer quelque chose,
revient nécessairement à comparer un élément par rapport à un
autre.
De la sorte, la mesure implique de manière
implicite, une relation entre objet et sujet. Cependant, cette relation n’est
pas à considérer comme antérieur à la mesure, elle est simultanée a la mesure.
En ce sens la mesure est co-génératrice de l’interaction entre sujet et objet
et co-génératrice du signe et du symbole associé à cette relation. Je parle de
co–génération, car sur le principe, mesure, relation entre sujet et objet
et signification de l’espace relationnel associé, sont des manifestations
simultanées et fondamentalement indissociables étant donné que la mesure définit
et signifie la relation entre sujet et objet, et que le niveau de
réalité du sujet comme celui de l’objet ne tient qu’à cette même relation.
Comprenons avant tout, que tout élément peut
être conçu en tant que sujet et objet. Cette différenciation ne
correspondant qu’a une perspective d’ordre relationnel conférée par la mesure
et l’intentionnalité qui la sous-tend. L’objet de mesure d’un sujet, peut tout
aussi bien être le sujet de de mesure d’un autre sujet objectivé. Cette
différenciation entre sujet et objet a le même niveau de réalité
que celle qu’elle engendre. C’est d’ailleurs ceci qui garantit la cohérence de
la réalité en question et sa condition existentielle.
Maintenant, si nous émettons l’hypothèse qu’objet et
sujet ne sont à concevoir essentiellement au travers de leur dimension
relative, il est légitime de se demander ce que sont ces éléments en dehors de
l’économie relationnelle qui les définit ? Si sujet et objet acquièrent un
niveau de réalité au travers de leur interaction, comment peut-on les
concevoir indépendamment de leur relation mutuelle ?
La réponse peut être comprise au travers d’une
fonction probabiliste qui définit chaque élément séparément.
Pour ceci, il faut concevoir un ensemble de
possibilité de réalisation Px munis des éléments ( P1, P2….Pn) .
Par « possibilités de réalisation » nous
entendons les Possibles qui ont la potentialité de réaliser et manifester
leur dimension qualitative et potentielle dans les différents niveaux de
réalité, soit, les domaines de la de la quantité et de la forme.
Maintenant associons à chacun de ces éléments
de l’ensemble Px une valeur conçue comme le taux
de probabilité de réalisation de chacune des possibilités de cet
ensemble. Des valeurs comprises entre 0 et 1 mais ne pouvant atteindre
les limites 0 et 1. ( x= ]0,1[ )
Ainsi à chaque possible, nous sommes en mesure d’associer,
sur le plan théorique, une valeur qui
correspond à la probabilité que cette possibilité a de passer de l’état de potentialité
à celui de puissance par le biais de l’acte de la mesure, comme nous le verrons
plus bas.
Faisons l’hypothèse maintenant, que tous les
éléments de Px soient corrélés entre eux et que certaines possibilités en
se réalisant excluent d’autres possibilités à la capacité de se
réaliser et que l’exclusion de ces possibilités provoque la réalisation
ou/et l’exclusion d’autres possibilités à se réaliser et ainsi de
suite.
Concevons maintenant la mesure, comme un état
d’interactions entre des possibilités de réalisation de Px. En effet nous avons
vu que la mesure est co-existante à la relation entre sujet et objets mesurés. L’interaction
entre différentes possibilités de réalisations est à comprendre comme définissant
un espace relationnel qui génère et
enfante la dualité sujets et objets et par la même occasion, leur niveau d’existentialité,
signifiée et symbolisée par le résultat de cette même mesure.
Suivant les taux de probabilités associés à chaque
élément de Px en interaction, il s’ensuivra soit, une réalisation (passage de
limite à 1) d’une de ces possibilités et par conséquent la non
réalisation d’autres (passage de limite à 0) soit, la non réalisation
des possibilités de réalisation en interactions entre elles ( pour un
résultat après interaction toujours compris entre]0,1[.
Pour utiliser une terminologie plus propre au
domaine de la physique quantique, on pourrait dire que la »
mesure » peut résulter en un état de décohérence entre les
éléments Px mesurés, , et que, comme ceux-ci sont
aussi dans un état d’intrication, cet acte de mesure et la
décohérence de certains de ces éléments associés, entraine des décohérences en
chaine qui elles ne sont pas nécessairement directement associée à une
mesure particularisée correspondante.
Ce sont ces résultats ou
« décohérences indirectes » qui ne sont pas associées à une
mesure directe et intentionnellement « signifiante », qui dans cette
approche théorique peuvent être considérés comme formant un état
cognitif indépendant de la mesure directe et donc du langage/signe.
Cependant en tant que résultats associés et
indirects, ils sont susceptibles rentrer dans le champ de notre conscience
car ils correspondent bel et bien à une modification du champ du
« réel » et donc objectivable et a-sujet-issable par notre plan
de conscience.
Cette approche théorique simplifiée qui se base sur
une théorie plus complexe et holistique qui regroupe l’ensemble des
interactions du domaine physique et psychique, veut seulement monter qu’il
existe des possibilités logiques autres que celles qui relient de manière
nécessaire, une connaissance et une prise de conscience d’une
certaine réalité, à une pensée signe.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire